Bidonville de Calais. Après effacement.
La lande autour de l'ancien centre de vacances Jules Ferry, qui longe la rocade amenant au port de Calais, fut ouverte aux migrants en 2014 afin de les déloger des divers sous-bois et usines désaffectées de la ville. Les facilités du centre Jules Ferry, prévues pour 1 500 personnes, furent rapidement dépassée et, selon les sources, le camp - devenu un bidonville presque "classique" avec ses petites boutiques, restos, mosquée, théâtre, école et une mer de tentes rafistolées - atteignit en 2016 un niveau de population oscillant entre 5 000 et 10 000 personnes. L'Etat français décida à l’automne 2016 de vider le camp, en dispatchant les uns vers des centres d’accueil répartis dans toute la France, et chassant les autres vers d'autres contrées ou à nouveau vers des planques dans les bois et les squats. La solution demandée par tous les migrants de Calais, le passage vers l'Angleterre, ne fut évidemment pas proposée. Trop simple. Le camp fut démantelé en deux phases, la dernière ayant eu lieu début novembre 2016.
Je suis retourné sur ces lieux un mois après. Pour y être passé plusieurs fois entre 2014 et 2016, retrouver cet endroit parfaitement vide est un peu un choc. Il reste les graffitis sous le pont de la rocade, les immenses grillages surélevés par des barbelés, deux point d'eau qui dépassent de terre tels les snorkels de je ne sais quel monstre sous-terrain, et des hectares de miettes de matériaux broyés qui recouvrent partiellement les traces des bulldozers. Personne. Pas un migrant, pas un bénévole, pas un CRS. L'immense terrain vague est bordé d'une part par les containers habitables du camp Jules Ferry, ensemble posé là au milieu de nul part telle une base sur le sable d'une planète inconnue, et d'autre part, au-delà des barbelés, par les silos des usines chimiques de Calais. La vie de ce bidonville a été amplement photographiée, filmée, commentée. Même si personne ne peut vraiment regretter un bidonville et que la souffrance et la violence du lieu n'en fit jamais un endroit où il faisait bon vivre, il représentait l'espoir de milliers de migrants de rejoindre l'Angleterre et constituait en lui-même une expérience sociale et politique relativement inédite en France. Il constituait un problème pour la ville de Calais et son artère économique principale autour du trafic trans-manche, et surtout une verrue pour un Etat coincé entre un accord débile franco-anglais signé sous Sarkozy et la pression d'une droite / extrême-droite dont Calais était le fer de lance pour dénoncer le supposé laxisme en matière de migration. "Cachez ce camp que je ne saurais voir", pour paraphraser Molière, fut donc fait. Cela n'a rien résolu sur le fond, ça a déplacé le problème mais ça a surtout enlevé l'épine du pied politicien quelques mois avant les élections. Et il n'y a évidemment que cela qui compte.